En recherche appliquée, rien ne fait plus plaisir à un-e ingénieur-e qu’un composant qui fonctionne, le plus longtemps possible. Ioana Preda, elle, trouve souvent plus intéressant d’atteindre les limites du composant, car c’est ainsi qu’elle développe des applications pratiques en matière de traçabilité ou qu’elle se fond dans le rôle de détective scientifique qu’elle affectionne particulièrement.

Lorsqu’elle effectue ses études en ingénierie électrique à l’Université Politehnica de Bucarest, elle ne se doute pas encore qu’elle va se prendre de passion pour la science forensique. Mais lors d’un séjour à l’Institut d’électronique du sud de Montpellier, en 2009, pour son travail de diplôme traitant d’électronique de puissance, elle rencontre des chercheurs qui travaillent sur la fiabilité des matériaux dans l’électronique, ainsi que dans la haute tension. «Ce sont deux domaines totalement opposés, mais qui ont en commun le besoin de pouvoir compter sur des matériaux fiables», déclare Ioana Prada. Sur mandat, l’équipe de recherche dissèque et analyse des composants bons pour la poubelle.

S’il est relativement facile d’observer qu’un circuit électrique n’a pas résisté à une variation de tension, il est beaucoup moins évident de déterminer si sa rupture résulte d’un défaut de fabrication, d’une surcharge sur le réseau ou d’une erreur de manipulation de l’opérateur. L’enjeu, comme souvent, est financier. Il s’agit de savoir qui va endosser la responsabilité de la panne et, en fin de compte, payer. La jeune chercheuse est prise au jeu. Diplôme en poche, elle revient à Montpellier, d’abord pour un Master consacré à l’énergie et à la fiabilité, puis pour une thèse de doctorat sur les matériaux nanocomposites pour la haute tension. Ces nouveaux matériaux la réjouissent. Elle sait qu’une fois sur le marché, dans une dizaine d’années, les premières pannes surviendront et qu’elle sera alors en première ligne pour en étudier les causes.

La doctorante se rend à plusieurs reprises à Montréal, d’abord pour des stages de recherche auprès d’Hydro Québec et de l’Ecole de technologie supérieure, puis, une fois sa thèse achevée, en 2013, comme assistante de recherche à l’Alstom Global Technology Center, où elle découvre le monde de l’industrie et de l’entreprise. En 2015, celui-ci est acquis par General Electric, dans le cadre du rachat d’Alstom Energie. Ioana Preda hésite entre poursuivre sa carrière en Amérique du Nord ou se rapprocher de sa famille et de ses amis disséminés un peu partout en Europe. C’est cette option qui s’impose, et c’est vers Fribourg qu’elle va se diriger.

Vacataire durant ses études, elle n’avait jamais pensé à faire de l’enseignement sa profession, mais un poste ouvert à la HEIA-FR lui ouvre cette voie, tout en la laissant consacrer 30% de son temps de travail à la recherche et à des mandats d’entreprise. Sa candidature est acceptée, en 2016 elle rejoint l’école et intègre les équipes de recherche de l’institut Energy, dans un premier temps, puis de iPrint, où elle apporte à différents projets de recherche ses compétences dans son thème de prédilection, identifier les limites des composants.

Les industriels recherchent de plus en plus des outils pour suivre l’évolution de leurs produits avant qu’ils aient atteint leurs limites, ce qu’on l’appelle la maintenance prédictive ou préventive. Dans ce contexte, le travail de Ioana Preda s’enrichit: elle ne cherche plus seulement les limites mais surtout des méthodes permettant le suivi en temps réel. Le principe consiste à intégrer des capteurs passifs dans des composants ou des objets de consommation courante, afin de procéder si nécessaire à une vérification. Les nouvelles technologies de fabrication ouvrent des nombreuses pistes dans ce sens. Il s’agit par exemple d’imprimer sur une étiquette une piste conductrice si fine qu’elle se rompt à partir d’une certaine température. Il suffit alors de vérifier la conductivité de l’étiquette pour déterminer si des températures critiques ont été atteintes. 

La professeure Preda s’intéresse à d’autres projets liés à la nourriture. Avec la professeure Liming Zeng, de Changins, rencontrée au détour d’une journée de la recherche, elle ambitionne d’apporter un outil d’aide à la décision aux vignerons. En dehors du refractomètre, qui mesure la teneur en sucre du raisin, ils n’en disposent pas de beaucoup. Mais le projet WinE-index pourrait changer la donne. En recourant à un courant électrique pour exciter les tanins ou d’autres molécules caractéristiques, il paraît possible de développer un appareil qui puisse les mesurer.

Ioana Preda travaille également beaucoup avec des entreprises locales, dont une en particulier, CONDIS. Cette entreprise de Rossens, qui puise ses racines dans la société Condensateurs Fribourg, est connue dans le monde entier. «C’est très rare les entreprises spécialisées dans la haute tension, précise la professeure Preda. C’est une chance d’en avoir une à 15 kilomètres de l’école». Dans des registres très différents, elle se penche sur les propriétés électriques des matériaux de construction conventionnels ou encore sur de nouveaux isolants électriques destinés à des implants médicaux. «Dans la fabrication des matériaux pour la haute tension, nous travaillons avec des pompes à vide et des cuves de 3 mètres de diamètre. En électronique imprimée, nous travaillons avec de minuscules têtes d’impression pour produire des circuits très fins ou des capteurs, mais il est toujours question de conductivité et d’isolation. L’échelle change, mais le principe reste le même.»

Répertoire des compétences HES-SO

11 mars 2021